Les nuages indifférents s’effilochaient sans hâte
dans l’orange pâle du ciel, un vif contraste avec le
vent qui fouettait la crête sur laquelle j’avais pris
pied. Les grains de sable qui frappaient la visière
de mon casque produisaient un crépitement sec,
comme un signal radio parasité.
Encore essoufflée par mon escalade, je scru-
tais l’étendue du désert.
Les dunes se nouaient et se dénouaient, leurs
crêtes dorées sculptées par le vent. Elles formaient
un grand bassin de sable cerné par les flancs
crevassés de montagnes en perpétuelle dispute.
Celles-ci, âpres et dures comme la vie, se
tordaient comme pour s’élever plus haut, toujours
plus haut, une dispute géologique commencée
des éons plus tôt, sous la poussée des forces tec-
toniques qui modelaient notre monde.
Ce paysage désertique rendait Paloma facile
à repérer : une petite perle violette reposant au
creux d’une immense cuillerée de sable blond.
*
Un soleil carmin se découpait à travers le voile
de poussières soulevées par le vent, comme pour
saluer ma meilleure amie. De longs cirrus s’éten-
daient par-dessus l’orange du ciel de Sérail, leurs
précieux cristaux de glace hors d’atteinte. Juste
de penser à cette eau me faisait déglutir.
Le vent s’engouffrait à travers l’étroit pont de
roches sur lequel je me tenais, menaçant de me
déloger comme une grosse poussière. Je plantai
fermement mes pieds dans les fissures qui cre-
vassaient le roc. Ce col reliait deux montagnes
rivales : le mont de l’Érable au nord, le mont de
l’Ours au sud.
Le col retenait aussi le désert dont le trop-
plein se déversait dans la vallée, formant un grand
cône d’éboulis. Les cailloux s’étaient distribués
selon leur taille, comme des élèves obéissants ;
les plus lourds roulant au bas, tandis que les plus
fins remplissaient les cavités.
Une intuition tenace m’avait poussée à gra-
vir cette pente de débris jusqu’au goulot. J’avais
ignoré le premier carillon d’appel.
«Encore une heure, m’étais-je dit, j’aurai le
temps de redescendre.»
Mais l’ascension m’avait essoufflée : le sable
et les petits cailloux du cône d’éboulis glissaient
sous mes semelles, multipliant mes efforts par
quatre. Les grains que je délogeais dévalaient
la pente à leur tour, plus bas, toujours plus bas.
En plus de me fatiguer, mon passage accélérait
l’érosion…
À chaque pause, je buvais des yeux le pano-
rama de la vallée où j’avais vécu quinze années.
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